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Austerlitz

@ Danielle Voirin

Danse, théâtre – conception et récit Gaëlle Bourges – Avec des extraits de Austerlitz, de W.G. Sebald – Triste Tigre, de Neige Sinno – Tristesse de la terre, d’Éric Vuillard – musique KrYstian & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK – au TPM/Théâtre Public de Montreuil.

Le texte est enregistré, Gaëlle Bourges en donne récit d’une voix monocorde. Il se compose de collages allant de la grande littérature de W.G. Sebald aux récits biographiques qui s’entremêlent, ceux des danseurs/danseuses et le sien propre. Austerlitz est en effet l’ultime roman de l’écrivain dont on vient de suivre d’autres itinéraires dans Les Émigrants présentés à l’Odéon par Krystian Lupa. On y retrouve une même méthode d’écriture – un homme, ici amnésique, à la recherche de ses origines, sa vulnérabilité, la souffrance et l’errance – un texte ponctué de photographies en noir et blanc. Mélangeant cette écriture à laquelle le titre est emprunté, à d’autres textes, on va et vient entre ces univers, sans trop de repères ni de nuances. On passe ainsi du viol d’une petite fille, Neige, par son beau-père, autobiographie de l’auteure, Neige Sinno dans Triste Tigre, aux derniers massacres d’Indiens et à leur mise en scène dans Tristesse de la terre, d’Éric Vuillard, à l’histoire de la danse et à l’histoire de chacun des danseurs/danseuses-performeurs/performeuses racontant son entrée dans la danse.

@ Danielle Voirin

Derrière ces textes-instruments, c’est en effet de l’histoire de la danse que Gaëlle Bourges semble vouloir parler et les chorégraphies qui accompagnent les écrits, superbes mais lointaines, se déroulent dans la pénombre et derrière le flou d’un tulle grisé qui éloigne un peu plus encore le spectateur. Elles en donnent une interprétation stylisée complétées par un cahier-photos qui défile sur écran : Loïe Fuller, célèbre pour sa danse serpentine et les voiles qu’elle fait tournoyer dans ses chorégraphies ; Steve Paxton, l’un des chorégraphes les plus radicaux de la post-modern dance américaine, improvisateur et pédagogue ; Yvonne Rainer figure de proue de la danse post-moderniste et minimaliste ; Vaslav Nijinski danseur-étoile des Ballets Russes, auteur d’un système de notation de la danse qu’il invente pour son propre usage ; l’historien de l’Art Aby Moritz Warburg, précurseur de l’iconologie ; le psychiatre Ludwig Binswanger, spécialiste des psychoses et qui fait des recherches en philosophie, dans la volonté de réunir psychiatrie et psychanalyse. Cet entremêlement érudit d’histoires personnelles à celle de la danse, de l’art, de récits de vie littéraires, donne un effet de fragments et conduit à une sorte d’annulation les unes des autres.

@ Danielle Voirin

On part d’enfants et de marelle sur fond de piano, en 1967, année de naissance de la chorégraphe. « Personne ne saurait expliquer exactement ce qui se passe en nous lorsque brusquement s’ouvre la porte derrière laquelle sont enfouies les terreurs de la petite enfance » écrit W.G. Sebald. Les déplacements se font en marchant. « Je me souviens… » Agnès Varda est de passage, plus tard Yves Klein. On dérive d’un fragment à l’autre mais ces retours sur le passé mangent le travail de la scène en ses apparitions-disparitions, qui deviennent une sorte d’illustration et d’écho flouté de ce qui est dit et ne s’arrête jamais. Les mouvements qui accompagnent l’ensemble, au demeurant d’une grande précision, s’apparentent à de magnifiques bas-reliefs plutôt qu’à un souffle chorégraphique collectif et les performeurs –  performeuses, dans ce qu’on voit, sont finalement relativement instrumentalisés.

Faute de silences et d’espaces, le spectateur se trouve dans une sorte de ni… ni où, la rêverie est confisquée et où l’on se prend à s’ennuyer. On aurait pu imaginer que le récit circule à partir d’un narrateur sur le plateau, prenant le relais de cette voix off qui assène tant de connaissances et donne cet effet de saturation, tandis que le plateau se fragmente. Qui trop embrasse mal étreint dit le proverbe, on sort déçu face à un travail dont on souhaiterait dire qu’il était superbe.

Brigitte Rémer, le 3 février 2024

Avec : Gaëlle Bourges, Agnès Butet, Camille Gerbeau, Stéphane Monteiro, Alice Roland, Pauline Tremblay, Marco Villari. Accessoires Gaëlle Bourges, Anne Dessertine – costumes Anne Dessertine – chant tou·tes les performeur·ses et KrYstian – images projetées archives (personnelles et autres) – lumières Maureen Sizun Vom Dorp – musique KrYstian & Stéphane Monteiro a.k.a XtroniK – régie générale Stéphane Monteiro – régie son Michel Assier-Andrieu – administration de production, diffusion Marie Gaudry – administration & coordination générale Marie Collombelle – Avec des extraits de Tristesse de la terre, Éric Vuillard (Actes Sud, 2014) ; Austerlitz, W.G. Sebald (Actes Sud, 2002) ; Triste Tigre, Neige Sinno (P.O.L., 2023).

Du 18 au 31 janvier 2024, du mardi au vendredi à 20h, samedi à 18h. Relâche dimanche et lundi – au TPM/Théâtre Public de Montreuil/CDN, 10 place Jean-Jaurès, Montreuil. Métro : Mairie de Montreuil – site : www. theatrepublicmontreuil.com – En tournée : 13 et 14 février, Maison de la Culture d’Amiens – 1er mars, Théâtre Antoine Vitez, Ivry-sur-Seine – 5 au 7 mars, théâtre de la Vignette, Montpellier.